Posts Tagged ‘Foucault

28
Sep
08

Seyhmus

Le dolmus m’a déposé dans la ville basse, banale et désolante et ma déception est si vive que j’ai presque envie de repartir immédiatement. J’ai encore, à ce moment-là, le sentiment que Bitlis aura été le moment le plus fort de mon voyage au Kurdistan turc, et que tout ce qui suivra ne me consolera pas tout à fait d’avoir dû quitter la petite ville des montagnes.

En fait, il n’en est rien, car dès que je suis monté vers la citadelle, la ville haute (si haute avec un sac à dos !), dès que le regard s’est porté sur l’immensité incroyable de la plaine de Mésopotamie, dès que j’ai aperçu les premiers bâtiments, la pierre ciselée, la lumière, alors je suis certain de vouloir rester ici un moment. Au moins pour la vue, au moins pour l’architecture. Au moins pour l’émotion touristique, aussi forte ici qu’à Isak Pasha.

La ville me réserve un autre cadeau, pourtant : la rencontre avec Seyhmous.

Ce sourire qu'il me donne, et qui s'installe. L'amitié naissante.

Il attend ce jour-là devant une banque, sur les marches, à l’extérieur. Je lui demande s’il parle anglais et s’il connaît un hôtel bon marché, il répond « oui » deux fois et m’accompagne vers cet hôtel, propre mais spartiate (Basak otel, +90 482 212 62 46, Mardin, 20 YTL en single sans petit-déjeuner)

En fait, Seymhus m’accompagnera toute la journée, se faisant mon guide, mon interprète, et avant le soir venu, mon ami – de cette évidence des rencontres, « parce que c’était lui, parce que c’était moi« .

Inlassablement et alors qu’il fait très chaud, que le Ramadan aiguise la soif, il m’emmènera visiter les recoins de sa ville natale. Il me fera ouvrir la porte des maisons et oser les ruelles du haut desquelles la vue sera si belle.

Petit à petit, en même temps qu’il dévoile pour moi les trésors de la ville, Seyhmus se raconte : il est étudiant à l’Université de Konya et va devenir ingénieur. Il est là en vacances auprès de sa famille. J’apprécie la douceur avec laquelle il pose les repères qui me feront le connaître.

En fin d’après-midi, après avoir épuisé tous les bâtiments historiques, il me propose de l’accompagner à la station météo où son meilleur ami travaille. Je le suis vers une villa des hauteurs, avec ses antennes, ses abris, et je fais la connaissance de son pote et de ses collègues dans ces bureaux vastes et vaguement désoeuvrés : l’ami est turc, les deux collègues sont kurde pour l’un, arabe pour l’autre. Mais c’est de France, de culture française dont nous parlons.

Contre toute attente, les trois collègues de la station météo de Mardin voudront savoir ce que je pense de Michel Foucault (que deux d’entre eux ont lu), et pendant une heure nous échangerons sur La volonté de savoir, Surveiller et punir, ou ses travaux sur la psychiâtrie, son rapport avec le Parti Communiste et la Gauche française, que sais-je ? Ce pays ne lasse pas de m’étonner, jamais là où on voudrait l’attendre.

Le soleil se couche, et malgré la vigueur de la discussion, chacun rentre vite chez soi pour rompre le jeûne.

Seyhmus m’emmène alors dîner chez lui, où je ferai connaissance de sa famille.

Son père me fait visiter son jardin et les arbres qu’il a plantés. Quand je lui dis que je porte le nom de cet arbre qu’il me montre-là, l’olivier, le père de Seyhmus m’affirme alors que c’est un beau prénom,

« Un beau prénom que celui qui désigne aussi un arbre » me traduit Seyhmus.




Mai 2024
L M M J V S D
 12345
6789101112
13141516171819
20212223242526
2728293031