Le panneau de la gare de Diyarbakir, ce qui veut dire pour moi, aujourd'hui : départ...
Le jour du départ finit par arriver.
( Je ressens une étreinte au coeur qui me rappelle l’enfance : quand je devais quitter l’un de mes parents pour rejoindre l’autre, et que la joie de retrouver une mère était assombrie du chagrin et de la culpabilité de quitter un père. Mais peut-être que je n’étais alors tout à fait en paix avec moi-même, ou plutôt en moi-même, que lorsque j’étais ainsi : en partance – entre deux vies qui n’étaient ni l’une ni l’autre pleinement miennes, soit avec mon père à Paris, soit avec ma mère en Province. J’aimais alors ces interstices de solitude et d’indépendance. De l’un à l’autre – préservé. )
Je quitte donc aujourd’hui le Kurdistan et je sais que c’est pour retrouver mon compagnon à Paris. J’ai prévu un long voyage de quatre jours, et le retour commence à la gare de Diyarbakir.
J’attends une bonne heure sur le quai de la gare.
J’ai acheté des provisions pour ces trente heures de trajet entre la capitale du Kurdistan turc et Ankara, l’anatolienne. Outre les biscuits, j’ai enfin cédé aux chips. En attendant le train qui accuse déjà un long retard, je les picore.
En face de moi, il y a un groupe de six femmes accompagnées de huit enfants, dont trois bébés, et de deux hommes, l’un jeune, l’autre d’âge moyen, tous les deux moustachus. Ce groupe a un impressionnant bagage composé d’un bonne quinzaine de ballots dans de gros sacs à grains récupérés. Ils viennent de la campagne. Les femmes sont assises au sol, certaines bercent leur bébé.
Les enfants jouent entre eux, et je les observe, de la plus petite (deux ans et demi ?) à la plus grande (huit ans ?). L’aînée jette un oeil sur mes chips. A la manière kurde, je lui en propose, évidemment, comme on le fit cent fois auparavant à mon adresse. Un cadet rejoint la petite fille et prend sa chips. Puis un autre, et encore un autre. Sur les cinq enfants, quatre sont venus goûter au croustillant « goût paprika » hyper-salé qui les ravit, comme moi.
Quatre sur cinq : la petite dernière n’a pas osé aller vers le grand étranger blond.
Les aînés iront donc la chercher sur le quai, et l’accompagneront jusqu’à moi, pour qu’elle ait elle aussi, toute petite et menue, sa part, comme les autres. Ils lui apprendront à oser. Ils lui apprendront qu’elle a elle aussi le droit à sa part, et l’accompagneront sans la léser.
Et je me suis dit que ces enfants étaient « chics » comme on disait autrefois.
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