Archive for the 'Texte' Category



19
Sep
08

Tatvan, se souvenir des belles choses

Je suis arrivé à Tatvan alors que la nuit commençait à tomber, et comme j’avais accompagné une danoise, rencontrée dans le train, à l’embarcadère (situé à deux kilomètres au nord de la ville), c’est dans l’obscurité complète que je me suis enfin dirigé vers le centre, guidé par le seul chapelet de lumière des lampadaires de la côte. Un dolmuş m’a cueilli au passage et contre 50 centimes, m’a déposé dans la rue principale.

Je suis toujours un peu inquiet quand j’arrive dans ces villes totalement inconnues. L’incertitude réelle se mue sournoisement en un sentiment d’insécurité. De quoi j’ai peur ? Je n’en sais rien. Ni des turcs, ni des kurdes, ni des gens, ni de la nuit, ni des chiens errants… J’ai peur parce que je suis loin de chez moi, sans repère, sans connaissance, comme « livré » à l’inconnu (je dois avouer qu’une part du délice du voyageur vient aussi de cette insécurité…). J’ai peur sans admettre ma peur ni parvenir à m’en défaire tout à fait. J’imagine qu’un parachutiste, à chaque fois qu’il s’élance, ressent la même petite pointe au coeur, et que c’est pour retrouver ce sentiment et la joie de son dépassement, qu’il recommence toujours.

Probablement que Safed a deviné ma peur, ou du moins l’incertitude de celui qui s’est perdu, sans repère. Il m’adresse la parole en anglais, le rituel « Where are you from ? », et je réponds « France ». Il sourit et me demande si je cherche un hôtel, ce que j’admets, et là, m’assure de son aide.

Ce n’était pas si facile de trouver un hôtel ce soir-là, et nous avons dû nous y reprendre à trois reprises. Safed me guide, traduit, et s’adresse aux réceptionnistes. Il prend le temps et ne me laisse que lorsqu’il est bien assuré que ma chambre me convient tout à fait.

Plus tard, dans la soirée, alors que tous les hommes sont dans la rue à discuter et boire du thé, je croise à nouveau Safed. « Ah Olivier… » et il me présente à ses amis, m’offre du thé… Alors que nous discutons, il me prend à part et me déclare :

« Je suis originaire d’Irak. Je me souviens de Madame Danielle Mitterrand. C’est à cause d’elle que je voulais absolument t’aider ».

J’ai été soudain fier en me rappelant que nous avons été ce pays-là. Il y a longtemps, c’est vrai, mais nous nous en souvenons toujours.

La mosquée de Tatvan

La mosquée de Tatvan

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18
Sep
08

A bord du Van Gölü Ekspresi

Je préfère prendre le train. À moins qu’en fait je préfère prendre le temps… ce qui revient à peu près au même pour qui s’aventure ailleurs que dans un TGVland. Ne voyez-là aucune crainte particulière vis-à-vis de l’avion, ou quelque sens aigu de l’économie ou bien une de ces fascinations enfantines pour le chemin de fer qui se prolongerait bien au-delà de l’âge « légal ». Non. Je préfère entrer doucement en Turquie, et le rail permet cette approche patiente.

Le pays ne se donne pas, pas d’un coup. Il est pudique. Il s’échappe de qui prétendrait l’étreindre sans ménagement. Les raiders, sportifs et voraces, les aventuriers pour qui tout voyage est une expédition virile, en seront pour leurs frais, car la Turquie les ignore, discrètement, poliment. Ce pays exige le temps du désir, et c’est pourquoi j’utilise ses grandes lignes, interminables.

Des heures et des heures, contemplatives, extatiques, à voir l’Anatolie s’ouvrir au regard, sentir peu à peu qu’on se détache de tout passé et que cette terre nouvelle nous absorbe, nous aspire, et qu’en même temps qu’on y pénètre – de gares du bout du monde, comme abandonnées et dont surgit pourtant un chef, casquette rouge, drapeau vert, à ces villages perdus, ou seuls les toits des mosquées rutilent – on devient peu à peu prisonnier de l’infini : voilà l’expérience première, l’expérience anatolienne. Celle du train express en Anatolie.

J’ai donc pris le Vangölü ekspresi, lundi soir. C’était la première fois. Je sais que je recommencerai tant l’expérience fut forte.

La ligne est la même que celle de l’Erzurum ekspresi sur la première moitié du trajet (Istanbul, Ankara, Kayseri, Sivaş), puis on met le cap au sud-est, en direction de Malatya, Elaziğ, Muş et, enfin, Tatvan. On accomplit un tel périple en un peu moins de deux jours (j’ai mis 45 heures, escales techniques comprises…).

Je recommande au voyageur les paysages de montagne, après Malatya et jusqu’aux environs de Muş. En suivant le cours du Murat Nehri, on y découvre les fameux lacs artificiels, nés du plus grand projet hydro-électrique actuel (le GAP), on s’aventure dans des vallées parfois si étroites qu’on a l’impression que les wagons vont heurter la roche brune ou rouge (à moins qu’on ne craigne de valser vers le ravin comme en témoignèrent trois wagons épaves à mes yeux qui n’en reviennent toujours pas), et alors soudain, au détour d’un tunnel, voici une plaine, un lac qui s’étend, les champs encore verts à la fin de l’été – miracle de l’irrigation.

Au milieu des montagnes, à Beyhan, le train s’est longuement arrêté : nous avons raccroché ici des wagons du train qui mène en Iran. Une dame en tchador, dans son compartiment, m’a souri. J’ai répondu à son sourire, j’ai mis la main sur mon cœur en m’inclinant légèrement. Deux inconnus qui croient à la paix, et s’en témoignent mutuellement. Et pourtant, le train n’a pas pris que des voyageurs ordinaires. Une foule d’hommes en armes (mitraillettes, gilets pare-balles kakis) a pris place dans le train, en escorte de sécurité. Ils sont restés avec nous jusqu’à Tatvan. Je me suis dit qu’on approchait du Kurdistan.

Quelques heures après, je découvrais le volcan Nemrut, et immédiatement le lac de Van. J’étais donc arrivé : nous étions mercredi, 17h30.

18
Sep
08

Au buffet de la gare d’Haydarpaşa

Quand commence le voyage en Turquie ?

Dès qu’on s’autorise à le rêver, traçant des itinéraires imaginaires et que défilent en nous les destinations possibles, comme autant de propositions, d’invitations faites à soi-même ? Lorsqu’on acquiert le Guide du Routard et son complément Gallimard, et qu’on feuillette les livres avec gourmandise, glanant l’info, la recoupant, la vérifiant sur internet ? Lorsqu’on se décide à acheter son billet d’avion sur Opodo.fr ? Non, pas encore, le voyage n’a pas vraiment commencé.

Peut-être le voyage débute-t-il au matin du départ : réveil qui sonne, un rien d’angoisse et beaucoup d’enthousiasme… vite, vite vers l’aéroport ? Non, le voyage n’a toujours pas commencé.

Il faut alors avoir atterri, et vu les drapeaux rouges et blancs claquer au vent de la terre turque ? Ou bien faut-il avoir présenté son passeport au policier qui fait alors lourdement tomber son tampon sur la page encore vierge ? Non, là vous êtes bien en Turquie mais le voyage, le vrai voyage, lui, n’a pas commencé.

Je sais : le voyage commence après le bus Havas qui mène de l’aéroport à la ville, quand on descend à Aksaroy, et que, sous nos yeux, les viandes rôtissent aux devantures des restaurants, quand la foule est pressée, qu’elle nous bouscule, indifférente à nos lourds sacs, quand on entend des hommes se héler dans cette langue étrangère… Non, ça c’est la Turquie, pas le voyage en Turquie, pas le début du voyage en Turquie.

Alors je ne sais pas… Dites-moi vous-même quand commence le voyage…?

Oui, le voyage ne débute vraiment que lorsque l’on quitte la rive européenne d’Istanbul. Quand le Vapur quitte le quai de Karakoy vers la gare d’Orient, Hayderpaşa. Lorsque la ville offre son couchant et que le bateau nous emmène sur l’autre rive. Quand on entre enfin dans le hall de la vielle gare de style allemand, et que le hall magnifique nous rappelle que nous sommes sur la ligne Berlin-Bagdad… Oui, alors le voyage a vraiment commencé.

Moi, je vais alors dîner au buffet. J’aime son cadre vieilli, vieillot et ses jolies faïences au mur, l’accueil à la fois simple et « grande maison », l’illusion légère qu’on était bien attendu ce soir-là, la compagnie des autres voyageurs, turcs pour la plupart, le raki, l’agneau grillé, les tomates, le fromage…

De ma table gourmande et rassasiée, je contemple les derniers éclats du soleil qui se couche, et le Bosphore qui s’obscurcit. Je réalise que nous regardons vers l’Occident, quand notre coeur et sa fièvre secrète sont déjà en Orient, et c’est ce paradoxe inaugural, tellement turc, qui signe vraiment l’entrée en Turquie.

Couché de soleil sur le Bosphore

Couché de soleil sur le Bosphore

La façade de la gare

La façade de la gare

Le buffet de la gare

Le buffet de la gare

PRATIQUE :

Pour aller de l’aéroport Atatürk à la gare d’Hayderpaşa (compter environ 90 minutes) : prendre le car Havas (10 YTL) à l’arrivée et descendre à Aksaroy (premier arrêt).

Remonter la rue jusqu’au tram, prendre un jeton de tram au kiosque à côté de l’arrêt (1,40 YTL) et prendre un tram direction Kabatas, descendre à Karakoy. De là, aller vers le Bosphore (100 mètres) et la gare maritime. Prix du jeton : 1,50 YTL. Monter dans le Vapur après avoir vérifié qu’il va bien à Hayderpaşa.

On achète les billets de trains au guichet, à droite du hall en entrant. Le mieux est d’avoir préparé sa requête par écrit (destination, couchette, et votre NOM). Le buffet et la consigne se trouvent après le hall, côté quais à droite.




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